Le Village du Peuple Etrange Voyageur

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    La malle des Indes

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    La malle des Indes Empty La malle des Indes

    Message par Invité Mer 19 Oct - 19:20

    Pataugas exhume un vieux texte qui donne du bleu aux rêves. Je l'envie car je ne sais pas.
    J'ai regardé dans mes vieilleries et je ne me suis arrêtée que sur celui-là que très peu, vraiment très peu de lecteurs connaissent.
    Homme dit que c'est mon testament. Bizarre, je ne le voyais pas ainsi. Quoiqu'il en soit, il date et je m'aperçois que la vie a bien couru depuis.
    Je suis si épuisée ce soir, il correspond bien à mon humeur et à mon envie de me reposer.



    La Malle des Indes


    Je suis bien là, couchée dans la malle. Le couvercle n’est pas encore refermé.
    Il a enlevé la lampe ventrue qui donne une si jolie couleur irisée au vestibule. Il a ôté aussi le moulin à prières et le pot en étain plein de stylos qui bavent et n’écrivent jamais.
    Je suis contente, il a fait comme on avait dit il y a sept ans quand nous l’avons ramené d’Inde.
    « Si un jour on se sépare, je garde la malle et tu prendras le socle pour en faire une table basse ». C’est notre malle des indes. En satin-wood. Personne n’a jamais pû nous dire qu'elle était, en français, la variété de ce bois. Elle est belle notre malle. Jaune sombre, patinée et si lisse. Elle a deux grosses poignées en bronze sur les flancs. Elle est posée sur un socle aux pieds arrondis et à la tranche d’ébène. Elle est longue, juste à ma taille et profonde.

    Je suis bien, là couchée dans la malle. Je suis posée sur la couette en plume, juste comme je l’avais demandé. J’ai mon pantalon de pêcheur en soie rouge sombre et mon pull en cachemire. L’ensemble est hétéroclite mais c’est juste comme, moi, je l’ai toujours dit : je veux des habits doux, tout doux. Je déteste ce qui gratte, qui pique, qui irrite ma peau. Ma tête est posée sur mon oreiller, lui aussi en plume. L’oreiller c’est le plus important en voyage.

    Je peux dormir n’importe où, sous la tente, sur une dalle de ciment sur des pierres plates, à nu, mais avec mon oreiller. Le soir quand le corps las ne veut pas câliner, je m’allonge et avec ma nuque, je creuse un nid dans la plume. Je ferme les yeux, je me raconte une histoire, un peu comme celle-ci et je m’endors. Au matin, je roule contre son flanc, enfouis mon nez dans la broussaille de la laine de son torse, et mon histoire est là, toute fraîche dans ma tête, prête à raconter.

    On m’a toujours dit qu’on entendait rien, que tout était noir, que c’était fini. Je sais maintenant que cela est faux. Le couvercle est ouvert. L’obscurité est légère, ce n’est pas ce noir opaque de catacombes. J’entends les voix. Je suis si bien, je n’ai pas peur, un grand calme.

    Pourtant depuis quelques années, je suis une grande peureuse. J’ai plein de petites peurs irrationnelles. Que quelqu’un monte sur la façade de l’immeuble, la nuit pour entrer dans l’appartement. Je ne ferme jamais les fenêtres l’été, la fraîcheur nocturne glisse sur le plancher chaud de la journée. J’ai peur qu’on m’observe dans les ascenseurs quand je me cure le nez ou que je glisse un doigt discret pour voir si mes règles ne débordent pas.
    J’ai peur que ma cheville plie quand je cours sous la pluie.
    Cette cheville c’est toute une histoire. Elle s’est entorsée prise dans des troncs pourris d’une forêt, jamais soignée, jamais vraiment guérie, elle est restée disgracieuse la pauvre, avec sa grosse bosse sur la malléole. Je la gâte pourtant, elle est ornée d’une chainette en argent avec deux grelots. Pourtant, elle plie toujours au moment inopportun et une fulgurance douloureuse irradie puis disparaît. Je parle à ma cheville, je lui dis « sois sage » quand je cours. Mais c’est une cheville qui n’en fait qu’à sa tête.
    J’ai peur aussi que mes yeux piquent au mauvais moment. Trente cinq ans qu’ils ont l’habitude de leurs lentilles mais il faut croire qu’ils rechignent encore.
    Lorsque j’ai un rendez-vous , ou que j’accomplis une tâche qui requiert une attention soutenue, plaf !! Un œil se révolte, brûle, la paupière se crispe. C’est à gémir de douleur.

    Enfin là, je suis bien couchée dans ma malle. Les yeux fermés, les pieds … tiens j’ai les pieds nus. Ca c’est chouette. Je sens qu’il a placé le meti sur l’orteil. L’hiver, je ne peux jamais le mettre. L’anneau me fait mal dans les chaussures. Mais l’été, je le mets toujours. Je me dis que les gens voient mes jolis orteils et oublient de regarder mes talons qui ont trop marché et qui sont cornus. Je râpe les callosités sans cesse et elles repoussent comme du chiendent envahissant. Plus vite que mes ongles, plus vite que mes cheveux. D’ailleurs je me demande si, maintenant ça va continuer de pousser. Il y en a qui dise que oui. Moi, je n’y crois pas et ça m’arrange. Je n’aimerais pas que mes cheveux continuent de pousser. J’ai fait une jolie couleur la semaine dernière et les cheveux gris et blancs sont bien cachés.

    Comme je suis bien, là couchée. Ca fait combien de temps. Comment j’en suis arrivée là ? Je suis vraiment intriguée. Nous sommes rentrés de Yercaud il y a quelques temps. On était bien là-bas. On a fermé la maison. Les bougainvilliers explosaient de mauve. J’ai dit adieu au cactus géant du parc. Les bouleaux argentés frémissaient sous la brise. J’ai caressé les colonnes du porche. Il a fallu reprendre l’avion et revenir dans notre maison française.
    Je me rappelle tout ça. Donc, c’était il y a une semaine. Ou plus ou moins, comment savoir.

    Tiens ma fille pose mon petit téléphone portable sur ma poitrine. Elle pleure. Je voudrais lui dire que je suis bien, que ce n’est pas triste, mais apparemment je ne peux pas parler.
    Ce téléphone, c’était une blague. J’avais toujours dit que je voulais l’emmener avec moi pour qu’ils m’appellent, où que je puisse appeler s’il y avait erreur. C’était pour rire et là, elle pleure ma fille chérie.
    Je me rappelle quand elle est née. Blonde, blonde. Je suis tombée amoureuse dans l’instant.
    Elle était tiède et gluante, le crâne un peu enfoncé, les yeux ouverts, deux miroirs profonds. Et les doigts, seigneur, les doigts, fins et presque transparents, deux étoiles de mer. Ma fille, ma fille. Tu es adulte et tu es maman à ton tour. Ne pleure pas, je t’en prie.
    Mais qu’ai-je fait la semaine écoulée. J’ai trié des photos, ça je m’en souviens. Un piètre résultat, j’ai tout remis dans le carton à chapeau. Impossible jamais de faire des albums. Tout est mélangé, les années, les voyages. Le Mexique avec l’Inde, la Tunisie avec le Maroc.
    Les parents et mon premier mari. Il avait un vrai charme ce jeune mari. On a joué à s’aimer et on s’est désaimanter très vite. Le temps de faire sortir du fleuve amour trois poissons d’or.
    Il est remarié, ça va lui faire un choc cette histoire.

    Quand même c’est bien étrange. Je n’ai pas eu mal, je n’étais pas malade. Y a-t-il eu un attentat ? Une voiture m’a-t-elle écrasée ou un vélo. Tiens c’est vrai ça, j’ai peur des vélos qui roulent sur le trottoir. Je suis tellement dans mes rêves que je ne fais jamais attention et hop ! un coup de guidon ou de pédalier dans les jambes. Jamais d’excuses le cycliste et le plus drôle ! c’est moi qui m’excuse.
    Non, j’écarte la thèse de l’accident. Je me sens entière, sans blessures et sans bandage. Mon corps est ce qu’il est ces dernières années. Un peu mou, un peu rond, un peu fripé, un peu usé, avec des rayures sur le visage, c’est ce que m’a dit ma petite fille.
    C’est un bon corps qui joyeusement vibre dans ses mains et qui chante de bonheur.
    Une harmonie de l’âge.

    Comme elle est confortable cette malle. Elle est restée toujours vide. Nous sommes bien trop paresseux pour soulever le lourd couvercle. Ainsi, pas d’embarras. Il a dû me porter dans ses bras solides. Une dernière danse d’amour. Je t’aime, te rappelles-tu notre rencontre devant un ordinateur ? Tu avais posé ta main chaude sur la mienne pour guider la souris voyageuse qui filait à chaque coin de l’écran. C’était ma première leçon d’informatique, je n’en ai rien retenu. Depuis lors, tu m’as offert des milliers de leçons. Leçon d’amour. Comme tu as été persévérant ! quelle patience infinie !.
    Avec toi, j’ai appris que je pouvais m’aimer, me laisser aller à aimer et me laisser aimer. C’est tout bête tout ça n’est-ce-pas ?
    Que vas-tu devenir ? Il faut que tu achètes une belle plaque de verre épaisse et translucide pour poser sur la malle. N’oublie pas, tu veux ! Tu replaces délicatement la lampe, le moulin à prière. Jette tous ces stylos inutilisables qui t’agaçaient si forts.
    Dans notre grand lit étends largement tes jambes, respire profondément. Je ne vais plus entendre ton ronflement de sonneur d’enclume. Ce ronflement qui m’était nécessaire comme un verre d’eau fraîche dans le désert. Ce grondement sourd qui me berçait et soulevait ta poitrine pour expirer un souffle de forge.
    J’entends ta voix profonde qui parle aux enfants. Ta voix si grave qui me remue et fait dresser les poils fins de mes bras dans tes concerts.
    Tiens, voilà un souvenir. La semaine dernière je suis allée t’écouter. Le Gloria de Vivaldi.
    Tu chantais de toute ton âme et c’était beau
    .
    Je suis paisible et si calme dans ma malle. Que va-t-il se passer ?. On entend plein de gens qui parlent de tunnel, de lumière éblouissante qui aspire et attire. Je n’ai rien ressenti de tel. Pas de conduit, pas de tunnel, pas de lumière, rien de céleste. Je suis dans ma maison. Il y a des murmures et des sanglots. Zut, c’est toi mon jeune fils. Tu pleures comme quand tu étais enfant par grosses secousses bruyantes. Je suis fière de toi, toi qui étais si malheureux à l’école. Opiniâtre et tenace tu achèves maintenant tes études. Ca m’embête quand même de ne pas savoir où tu vas voyager. Tu me ressembles tellement mon fils, il te faut de grandes goulées de découvertes pour être heureux.
    On dit que toutes nos questions seront résolues là-haut ? Peut-être que je te verrais mais je n’y crois pas vraiment. C’est quoi le néant, je voudrais comprendre.
    Je réfléchirais plus tard. Il y a plus urgent. Mon esprit a gommé quelque chose, un évènement quelconque. J’ai peut-être fait une crise cardiaque, ou un embole. Avec toutes ces cigarettes que j’ai inhalé, c’est possible.
    J’ai jamais eu la volonté d’arrêter. Le plaisir de la première bouffée avec le café matinal relève de l’orgasme. Alors, ainsi, je suis morte de plaisir. Oui, c’est sûrement ça.

    C’est toi qui me touche la joue mon aîné ? je reconnais la rugosité de tes doigts de guitariste.
    Fils aux yeux de cristal, tu viens de te marier.
    Joue mon fils, fait vibrer les cordes de ta guitare. Joue mon fils, joue. Sois heureux avec ta jeune épousée. Ne roule plus en moto, je t’en prie. Je ne veux pas que tu te blesses. Et puis, il n’y a qu’une malle, où irais-tu ?

    Mon odorat est intact, je hume. Donc mes poumons se gonflent, ce n’est pas possible autrement. Je perçois, j’en suis sure le parfum léger du bâtonnet d’encens. Jasmin, mon préféré. Chaque matin, j’allume un petit stick, une prière à la journée qui commence.
    On m’a dit que c’était mauvais pour la santé ces fumerolles parfumées.
    Mais on m’a dit tellement de choses dans ce demi-siècle de vie.

    Quel est ce bruit ? je ne reconnais pas. On dirait un marteau-piqueur au fond d’un sac matelassé..
    C’est mon cœur ?




    mamina
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    Localisation : Près de Pau, sur le chemin de St Jacques...

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    Message par mamina Mer 19 Oct - 22:49


    Je voudrais tellement savoir t'écrire quelque chose d'aussi beau...

    Merci Pondy bisou
    fabizan
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    Localisation : Sainte Enimie Lozère

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    Message par fabizan Jeu 20 Oct - 1:24

    C'est très beau Pondy sourire


    _________________
    Fabienne
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    Localisation : Alpes Maritimes

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    Message par Fabricia Jeu 20 Oct - 7:07

    Merci, chère Pondy, d'avoir ouvert à nouveau cette malle si émouvante dont j'avais gardé le souvenir depuis des années, quand tu venais encore à la grande ville...

    ... mais la vie continue et, ici, nous avons beaucoup de chance de te lire !

    Bonne route La malle des Indes 63621


    _________________
    Fabricia
    "Le présent est un leurre puisqu'il se transforme sans cesse en passé" (selon Flora Groult)
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    Message par geob Ven 21 Oct - 10:51

    On se sent bizarre, après avoir lu ce texte.
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    Message par Invité Ven 21 Oct - 11:44

    geob a écrit:On se sent bizarre, après avoir lu ce texte.
    En effet.

    Ma réflexion va à Pondy : qu'éprouves-tu, toi, en relisant ce texte aujourd'hui ?
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    La malle des Indes Empty Re: La malle des Indes

    Message par Invité Ven 21 Oct - 16:57

    Réponse pour Pataugas : très simplement la même grande paix et le même immense amour que je ressens à l'infini...
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    Localisation : Je m'balade sur les chemins...

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    Message par Dolma Sam 22 Oct - 14:10

    Il y aurait fallu écrire sur le couvercle de la malle : "âmes sensibles, abstenez-vous de lire" désappointé ...

    Impossible de m'endormir hier soir et réveil angoissé ce matin.
    Ce n'est pas un testament, ce n'est pas du repos... C'est la mort. Je hais la mort (celle des autres, de la mienne je me fous).


    Dolma
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    Message par Invité Sam 22 Oct - 14:36

    Dolma a écrit:(celle des autres, de la mienne je me fous).

    En es-tu bien sûre ?
    Si nous haïssons la mort des autres, c'est probablement en raison de la souffrance qu'elle inflige à ceux qui restent.
    La nôtre, de mort, causant donc cette peine à ceux que nous laisserons derrière nous je ne trouve pas déplacé de se pencher sur la question. Et je vois un peu dans le texte de Pondy une tentative d'apprivoiser cette idée, un tranquillisant en quelque sorte... qui a d'ailleurs une allure d'offrande à ceux qui resteront : "voyez comme l'idée de ma mort rejoint la douceur".

    Chacun a sa manière de négocier avec l'idée de la mort - voire de la fuir !
    ("Petits arrangements avec les morts" est un film qui traite bien de cet aspect du sujet)
    Pour ma part, je n'aimerais pas me trouver à lire ce genre de lettre de la main d'un de mes proches après son décès. Je préfère de loin l'idée qu'il / elle se sera occupé pleinement de sa vie et me laissera la liberté de m'accommoder comme je le voudrai de sa mort.

    Dans la mort il finit par y avoir de la vie, mais ce n'est pas au mourant de prendre la plume pour tenter de la communiquer. Son rôle à lui est de partir et de lâcher sa prise sur la vie et sur les vivants.
    C'est ainsi que je vois les choses et naturellement elles n'engagent que moi.
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    Message par Invité Sam 22 Oct - 16:04

    Haïr la mort,jamais.
    En être bouleversée, ça oui.
    Me sentir impuissante, ça oui.

    Exit dans ma tentative d'expliquer ce que je ressens face à la mort : les mises à mort par guerre ou jugement humain.

    Dans ma longue pratique professionnelle, elle a été présente ô combien.
    Clore des yeux vides de regard est un geste d'une émotion et d'une pureté infinie.
    Passer le doigt sur une joue encore tiède bouleverse jusqu'au fond des tripes.

    Puis boire le café et rire sauvagement avec l'équipe est l'exutoire qui permet d'avancer pour continuer..

    La mort ne m'effraie pas, elle est continuité.
    Mourir revêt bien des aspects pour les gens.
    Certains vieillards disent : "j'ai fait mon temps" et au moindre éternuement en appelle au médecin, d'autres s'étiolent lentement et silencieusement et s'éteignent sans bruit. D'autres se battent férocement et d'un coup lâche-prise, ceux-là ont, je vous le promets, un visage lissé et apaisé.
    Et beaucoup, dont je suis, sont heureux et fiers de ce qu'ils ont accompli, transmis, donné, reçu et sentent qu'ils peuvent accepter l'idée de la mort sans angoisse sans trouille.
    C'est sûrement le terme d'apprivoisé qui convient le mieux.

    Et puis, il y a ceux qui restent et qui vivent leur peine et qui ancrent dans un coin de leur tête les mille moments heureux vécus avec le disparu, tentent de gommer les regrets, parfois les remords.

    Quand bonne moisson est faite et a été fête, la vie reprend...
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    Message par Invité Sam 22 Oct - 16:33


    C'est un voyage dans l'éther inconnu.

    Là où je travaille, il y a plusieurs bâtiments très anciens, pour les patients, les résidents, les bureaux administratifs etc..
    Derrière, il se construit une énorme unité Alzheimer qui a pris la place d'une merveilleuse volière du siècle dernier. Il reste un petit poulailler -appelé le coin des poules.-
    Juste à côté deux jolies maisonnettes qui comprenaient la porcherie et l'habitation du garçon porcher et de sa famille.
    L'une des maisonnette est inhabitée, l'autre est le funérarium.

    En face des maisonnettes est le clopatorium, nom que j'ai donné à ce lieu en arrivant et repris par un petit malin qui a fait une affiche clouée sur un montant en bois.
    L'administration précise, dans tous les locaux, « l'hôpital est un lieu non fumeur » et dans nos vestiaires : « employés tabagistes, un lieu derrière le local à poubelles est réservé pour ceux qui ne peuvent s'abstenir », s'ensuit en petites lignes le numéro de téléphone de tabac-info-service, 0,15cts d'euros la minute.

    Notre clopatorium est un petit hangar au toit en tôle ondulé, fermé sur trois parties par des plaques en agglo. Nous nous asseyons très confortablement en plein vent sur quelques palettes empilées et jetons nos cancerettes utilisées dans un seau de 50 litres de peinture vide.

    Face au funérarium, il s'en dit des choses au clopatorium.

    Et on rit, je vous l'affirme, même quand passe, sur un brancard poussé par Albert, une caisse couverte d'un drap de lit, qui cahote dangereusement dans les sillons creusés par les engins de chantier de la future unité, en route pour le joli funérarium.
    On fait des paris : va tomber-va pas tomber. Ca tombe jamais, l'est fort et habile l' Albert.

    L'est pas belle la vie ?
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    Message par Wapiti Sam 22 Oct - 20:53

    Dolma a écrit:Il y aurait fallu écrire sur le couvercle de la malle : "âmes sensibles, abstenez-vous de lire" La malle des Indes 515366 ...
    La première fois que j'ai lu ce texte, j'avoue avoir été mal à l'aise également. Mais pas au point de parler d'angoisse ou de ne pas arriver à dormir, heureusement.
    Relu avec moins de fatigue, je le trouve beau, vraiment beau.

    Pondy a écrit:D'autres se battent férocement et d'un coup lâche-prise, ceux-là ont, je vous le promets, un visage lissé et apaisé.
    Ho que c'est vrai, Pondy !
    Et quel visage serein qui apaise notre propre douleur.


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    "Nous méritons toutes nos rencontres, elles sont accordées à notre destin et ont une signification qu'il nous appartient de déchiffrer." F. Mauriac
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    La malle des Indes Empty Re: La malle des Indes

    Message par Skyrgamur Sam 22 Oct - 22:29

    J'avais loupé le début de ce post.
    Je termine la semaine en larmes. Que de (mauvais) souvenirs.
    Mais que c'est beau. Tu as bien du talent Pondy.


    _________________
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    La malle des Indes Empty Re: La malle des Indes

    Message par Invité Dim 23 Oct - 12:04

    Bon, personne ne s’intéresse à ce qui se dit au clopatorium, moi ça m'amuse...

    " t'as vu le bébé de Sarko, elle s'appelle djoulia "
    " T'as été voté, moi j'y suis allée à 6h30 ce matin "
    " Ouais, c'est celle de l'accueil qui tient le bureau de vote, y'a personne à l'accueil "
    " Comment tu cuisines les pieds de mouton, z'étaient tout gluants, j'préfère les girolles "
    " C'étaient où que t'as ramassé tes trompettes de la mort, derrière les pasquelins ? "
    " Y'a Angèle qui as demandé sa mutation, tant mieux "
    " Cette année, z'ont baissé la somme pour le Noël des enfants, nul, faut qu'on rajoute au moins cinq euros si ont veut que les meniots z'aient pas des cadeaux nazes "
    " C'est Lulu qui va faire le père Noël, faut lui dire de pas mettre ses Nike, ça se voit trop "
    " Mon mari a rentré 20 stères de bois, ça devrait le faire, l'année dernière on s'est trop pelé "
    " Ben c'est ça le Morvan, y'a tombé de la neige fondu hier t'as vu ? "
    " Les gars de l'atelier râlent pasqu'on fait trop de bons, z'ont qu'à réparer les radiateurs des chambres "
    " Parait que le dentiste, le hollandais t'sais qui vient de s'installer c'était un prof de danse avant "
    " Moi, j'me ferais pas soigner par lui "
    " Y'a des bancs de scie en promo chez Bricomarché "
    " La lulu est morte c'est mieux, sans jambe c'était pas marrant pour elle "
    " Ta paye a été virée ? J'ai toujours rien sur mon compte "
    " Les pompiers ont ramassé la toubib dans le fossé, elle a rien mais sa caisse elle est foutue "
    " Chuis passé stagiaire ouf, j'vais pouvoir me mettre en arrêt pasque quand t'es contractuel, ça craint "
    " T'as vu, les bénévoles z'emmènent les vieux sur les tombes, c'est l'guy qu'est content "
    " Faudrait qu'il change de fringues, y pue la pisse "
    " La maîtresse de ma fille, elle dit qu'il faut voir si elle est pas sourde, elle parle trop mal qu'elle dit, l'est tarée quand même "
    " c'est quoi cette grève pour l'austérité ? J'ai eu ma lettre de réquisition "
    " C'est hollande qu'à gagner, y s'ra président, tant mieux pour les retraites "
    " j'ai cru que c'était les présidentielles, faut l'faire hein ? "
    " Bon, faut y'aller, y'a la chef qui va encore nous espionner qu'on traîne trop ici "
    " Qu'est-ce qu'on s'caille, faudrait une bouteille de gaz en chauffage "

    Le monde en couleur...
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    Message par Invité Dim 23 Oct - 15:04

    Le clopatorium, ça doit exhaler pire que les arpions de l'Antoine sous ses doigts de cigarillero, je reste donc à me geler à l'air frais en regardant du coin de l'oeil Albert l'équilibriste mener ses fardeaux comme il leur doit.

    En face du funérarium, y'a le cabinet d'un denteux de mes amis.
    A ma connaissance il n'est ni hollandais ni prof de danse, et j'ignore s'il a des accointances avec l'Albert genre recel de dents en or ou autres formes de sous-traitance.

    J'écoute j'écoute.
    L'ami denteux décline les blagues du mardi quel que soit le jour de la semaine.
    Par la fenêtre ouverte j'entends le piaillement des clopeuses entre un Mac Abbée et un Al Zheimer...
    J'y reconnais l'enregistrement télégraphique opéré par l'oreille de Pondy mais je n'y entends pas la parole de Pondy elle-même. Ni même la qualité de son enregistrement.

    "Tout fout le camp !" dit mon ami le denteux sans en croire un seul mot.


    Dernière édition par pataugas le Dim 23 Oct - 15:06, édité 1 fois (Raison : dégénérescence latente)
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    Message par Invité Dim 23 Oct - 15:36

    Pataugas, tu ne peux pas entendre d'autres enregistrements que celui-ci. Je ploie sous le faix de l'ignorance de ce monde professionnel rural et me tasse sur ma palette, le sourire gentil coincé sur ma clope et ne fais qu'écouter et retranscrire à la virgule près et fautes comprises les échanges aussi brefs et évanescents que la fumée.
    J't'en ressers une cuillère et si t'aimes pas, tu peux cracher discrètement dans ton mouchoir (le gros à carreaux et pas le kleenex, je n'apprécie pas l'usage unique). En plus c'est la semaine du goût, "faut goûter qu'y disent faire un effort même à votre âge."



    « Je rajoute vingt cinq granules d'arnica à la bouffe de ma jument »
    « C'est quand ton concours ? »
    « Dans quinze jours, ça douille, 500 euros pour participer »
    « C'est tous des prout-prout ceux des concours, alors toi comme ASH, tu peux bosser »
    « C'est dégueulasse elle m'fait bosser à Noël, trois ans que j'bosse ce jour là »
    « T'as été à la formation hygiène ? »
    « Non, moi c'est la manutention »
    « J'ai trouvé un rétro à la casse, vachement sympa le type, y'm l'a donné »
    « Dans la Détorbe y'a un camion de bois renversé, p'tain le bouchon, on s'croirait à Paris »
    « J'ai trouvé sur internet un pot de tabac à rouler, 25 euros pour t'faire 800 clopes, j'ai commandé mais ça arrive pas »
    « Internet, c'est des voleurs, moi j'commande rien »
    « La fille de la radio, elle sort avec le gars de l'entretien »
    « Y'a Jeanbat le cuistot qui s'est cogné avec le chef économat, t'sais pourquoi ? »
    « J'peux pas prendre mes récup, y'a personne pour me remplacer »
    « Bonjour, j't'ai jamais vu »
    « J'étais en vacances, chuis la biotechnicienne de surface »
    « ????? »
    « La femme de ménage des couloirs quoi »
    « Chuis esthéticienne à domicile, j'ai pas de client donc j'fais la biotechnicienne »
    « Parait qui z'ont pris en photo tous c'qu'elles trouvent dans les poches des blouses, à la blanchisserie, elles z'ont ramassé trente briquets, trois scalpels avec le capuchon et un sans capuchon, des comprimés pour pioncer, même un dentier »
    « Y'aura une réunion, ben moi, j'dirais qu'elles rendent du linge humide et que ça pue le moisi dans les placards, va laver avec un gant qui pue, c'est dégueu. »
    « Faut faire un bon pour avoir une pile pour la souris et même rapporter la pile usée et en triple exemplaire le bon ».
    « T'as passé la brouette dans la 124 ? »
    « Ouais, j'ai plus qu'à cirer mais faut mettre d'abord du vinaigre blanc. »
    « Ah, j'en mets pas moi »
    « Ben si tu fais pas, quand on lave, la cire part en plaque, faut neutraliser d'abord »
    « Où qu'on en trouve du vinaigre blanc ? »
    « Tu demandes aux cuistots »
    geob
    geob


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    Message par geob Dim 23 Oct - 15:46

    Varanassi -Bénarès-, mai 1981 !
    Je regardais les morts brûler sur les bûchers, je sentais cette odeur de peau grillée.
    Je me souviens de cette femme qui seule accompagna un défunt. C'était une pauvre parmi les pauvres, et elle n'avait pas beaucoup d'argent, donc pas assez de quoi payer du bois pour l'incinération. Elle resta un peu et repartit dans sa vie de misère après avoir fermé cette parenthèse : sa vie continuait.
    Je restais sur le promontoire pour voir le corps au milieu des flammes, le préposé à cette activité en train de remettre la tête dans le feu avec une perche. Puis, le bois entièrement consumé, l'homme de la caste la plus basse de Varanassi, mais la plus riche, jeta les restes du corps dans le Gange. Voilà, ce n'est que ça un corps humain : de la matière, rien que de la matière périssable.
    Plus tard, en lisant "Catch 21", l'inoubliable roman de Joseph Heller, je fus frappé par le passage où Yossarian voit son copilote mourir éventré, les intestins dehors ; Yossarian constate que le secret de la vie est là : l'homme, c'est huit mètres d'intestins, de boyaux.


    En rentrant en France, je ne me suis plus posé de questions existentielles... pendant fort longtemps !


    Maadadayo !
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    Message par Invité Dim 23 Oct - 15:50

    "je ne me suis plus posé de questions existentielles... pendant fort longtemps !"

    Et maintenant ?
    geob
    geob


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    Message par geob Dim 23 Oct - 15:58


    Maintenant c'est trop tard !!! mort de rire !

    Je ne regarde plus derrière moi, car, comme Swami Prajnanpad, la seule réalité c'est aujourd'hui, ni hier ni demain !
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    Message par Invité Dim 23 Oct - 16:01

    Ben voilà, t'as le secret, surtout si tu n'oublies pas qu'aujourd'hui c'est le hier de demain.
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    Message par Skyrgamur Dim 23 Oct - 18:51

    pondy a écrit: « Faut faire un bon pour avoir une pile pour la souris et même rapporter la pile usée et en triple exemplaire le bon ».
    Quand j'ai commencé à bosser, il fallait donner la recharge vide du stylo pour en avoir une neuve. Ils ne te fournissaient pas de corps.
    Pour avoir un nouveau crayon à papier, il fallait rapporter l'ancien et s'il mesurait plus de 4 cm, pas d'échange.
    Il fallait apporter ton papier WC...


    _________________
    Skyrgamur, le lutin Islandais
    mamina
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    Message par mamina Dim 23 Oct - 23:05

    me tasse sur ma palette, le sourire gentil coincé sur ma clope et ne fais qu'écouter

    quand j'ai lu les papotages du clopodrome je me suis justement demandée ce que tu disais, ce que tu faisais pendant ce temps de parlotte... je l'ai eu ma réponse et c'est ce que je pouvais imaginer de toi !!! ah ah ah faut se méfier de la p'tite nouvelle ! elle est taiseuse mais bien observatrice !

    Pour en revenir à ta malle Pondy, discussion d'une soirée avec les enfants :

    - heu, on sait pas trop comment vous dire mais avec papa on pensait que ce serait bien, pour vous faciliter la tâche, qu'on fasse un genre de contrat obsèques, vous en pensez quoi ? (faisant suite à quelques évènement familiaux difficiles)

    Réaction de fille ainée, très cartésienne :
    oh ben oui ! vous avez raison, j'ai des amis qui ont été bien embêté, et puis comme ça on est sûr de bien faire, oui pour nous ce sera plus facile...

    Réaction du fiston souvent dans les nuages :
    bôoo ! de quoi vous parlez ! pfouuuuuu ! on a bien le temps, ohlala c'est pas du tout mon souci !

    Réaction de petite chérie :
    Bouuuuuuuuuuuuu ! (en pleurs) je veux pas entendre parler de ça, vous êtes pas bien !...

    3 enfants, 3 tempéraments différents, 3 réactions contraires....
    et si on leur faisait tout simplement confiance, si on les laissait vivre ensemble cette épreuve, si, enfin, on leur "lâchait la grappe"... de toutes façons ils savent et ils feront au mieux, pour eux, pour ceux qui restent...

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    Message par Invité Mer 26 Oct - 16:12

    Toujours dans le thème thanatos and co, ça m'inspire...

    Y'a des rues du village bien plus gaies hein ? Eh ! le lutin, tes blagues me font marrer.
    Voilà un très vieux texte qui dans le contexte de soins actuels ne peut plus se vivre.
    C'était ce qu'on appelle une faute professionnelle.
    A vous d'en juger...
    Monsieur M. est mort deux jours plus tard.





    ECOUTEZ-MOI



    Pouuuut !!! pouuuut !!!!, pouuut !!!!

    C’est la chambre 27 encore Monsieur M.
    Heure de pause-café-thé. Personne ne se lève. C’est encore lui, soupirs...
    « J’y vais »
    Imperceptible soulagement. Les conversations reprennent de plus belles.
    Je l’aime bien Monsieur M .

    Décharné, menu, tout plat dans son lit. Les yeux tout au fond des orbites qui saillent. Un regard intense, un regard de peur. L’oxygène siffle doucement dans ses narines.
    Les côtes se soulèvent, un xylophone d’os.
    Et sa voix, un souffle inaudible. Il va mourir Monsieur M . ce soir, demain, bientôt aussi sur que un plus un font deux.

    « Vous avez besoin de quelque chose ? »
    « J’ai mal au dos, j’ai mal aux talons »

    Je prends une jambe, puis l’autre et doucement, tout doucement j’effleure ses talons rougis, je caresse, en silence. Mes mains se font tendres, le chuintement de l’oxygène masque la respiration ténue.
    « Je vais mourir hein ? »
    « Qu’en pensez-vous ? »
    « Je sais que je vais mourir et j’ai peur, dites le moi, je n’en peux plus d’entendre dire que tout va allez mieux »
    « Oui, je crois aussi que vous allez mourir et je comprends votre peur, moi aussi j’aurais peur à votre place »
    Je le tourne sur le côté, léger fardeau et ma main caresse son dos, tressaute sur chaque vertèbre, je lisse sa peau, mes doigts passent et repasse la chair froide et moite.
    « Je voudrais que tout soit fini »

    « Je n’ai envie que d’une chose et personne ne veut me l’accorder. C’est interdit et ça vous fera du mal, voilà ce qu’ils me disent, tous. Du mal ? Quel mal peut m’atteindre, je suis fichu et pourquoi personne ne veut comprendre. Celui qui passe à la chaise électrique, on lui accorde son dernier désir et moi ? »

    « Dites-moi, qu’est-ce qui vous ferez tant plaisir »
    « Une cigarette, ma dernière cigarette » « et vous, ce sera comme les autres. Dangereux dans la chambre, il y a l’oxygène et ça va tout faire sauter, dangereux pour mes poumons ? Laissez-moi rire ils sont déjà morts. »
    Monsieur M. halète, il ne parle jamais si longtemps.

    J’ouvre la grande baie vitrée, je tourne la molette de l’oxygène sur stop, je retire doucement les fines lunettes d’air, je débloque les roues du lit, je pousse le lit vers la lumière du ciel, je mouille une compresse, je la façonne en cendrier, je prends mon paquet dans la poche de ma blouse.
    Je m’assoie au bord du lit. J’allume la cigarette, je la tiens entre le pouce et l’index et la pose entre ses lèvres. Il aspire à fond lui qui ne respirait que par infimes saccades.
    La fumée bleue s’envole par la fenêtre.

    Il sourit, il sourit, aspire sourit aspire sourit.

    La cendre tombe dans la compresse.
    La cigarette est mégot, je roule la compresse serrée. Je roule le lit à sa place, je laisse la fenêtre ouverte sur l’été.
    Je rattache les lunettes d’air derrière les oreilles, 3 l/mn.

    Monsieur M . s’est endormi, un sourire minuscule sur ses lèvres craquelées
    Je ferme la porte silencieusement.


    « qu’est-ce-qu’il voulait ? »
    « Rien, pas grand chose"






    Skyrgamur
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    Message par Skyrgamur Mer 26 Oct - 16:56

    Si je te fais marrer rire , toi tu me fais chialer pleurs

    N'ai-je pas déjà lu ce superbe texte quelque part ?


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    Message par Invité Ven 28 Oct - 20:16



    Et celui-là, le reconnais-tu ?

    Puisque vous posez toutes es couleurs flamboyantes dans notre village, j'peux mettre de l'ombrage n'est-de-pas ?




    TIAGO



    La chaleur est intenable, les nuages s’accroupissent dans l’horizon noirci, prêts à gicler, encore un peu de jours et leurs joues bulbeuses cracheront l’humidité accumulée durant tous ces mois.

    Bientôt des rhizomes enfouis jailliront, les plantes qui nourrissent. Bientôt les enfants nus danseront sous l’eau tiède, bientôt les palmes des huttes pendront désespérées et lourdes touchant de leurs pointes tranchantes la gadoue grasse. Le sol enfin désaltéré repoussera la latérite qui ruissellera rouge et vive le long des sentiers et les planches, fragiles passerelles enjamberont les torrents furieux.

    Toi, tu es Tiago, et je vous vouvoie. Tiago, le pêcheur de lagune. Vous avez pêché cinquante ans à Veerapattinam, une lagune bleue, large et peu profonde où dans votre jeune temps les poissons affluaient. Pêcheur à l’épervier et ce geste ample du filet en chanvre, plombé sur son pourtour et qui retombe en cloche dans l’eau peu profonde de la lagune est empreint de force et de beauté.

    Sur le sol de terre battu vous êtes étendu sur une natte.

    Dans la semi obscurité les ustensiles d’aluminium luisent dans le fond de l’unique pièce ou nul ne s’attable plus
    Devant l’entrée deux poules picorent.
    Je vous dis bonjour. Je vois votre regard noir dans votre visage immobile, voilé d’une taie bleuâtre.
    Vous ne répondez pas, vous ne parlez plus. Les os de vos hanches saillent sous votre lungi à carreaux. Je fais votre piqûre et le bout de l’aiguille frappe l’os laissant dans ma main la sensation d’un rocher qui tinte sous les crampons d’une chaussure. Vous n’avez pas sursauté.

    La douleur apprivoisée reflue lentement et vos épaules tendues se reposent à plat sur la natte.
    Je me suis assise dans votre silence. Je vous ai écouté.

    Vous partiez juste avant l’aube sur votre catumaran, sans compas, sans boussole. Un drôle de bateau qui ressemble à un radeau fait de bois flotté où les troncs sont liés. A cette époque le filet coiffait les bancs de poissons et la pêche était bonne. Aujourd’hui, il emprisonne quelques poissons égarés. Peu, trop peu et votre fils n’est plus pêcheur.

    En ce milieu d’après-midi, déjà presque le soir, le village est silencieux. Les hommes entourent le panchâyat sous le banian. C’est le palabre et j’ignore l’ordre du jour. Une escouade de singes, aux rires jubilatoires, dans les branches, observe de leurs yeux en boutons de bottines les hommes accroupis sur leurs talons. Les dos noirs, lustrés où chaque vertèbre luit en cascade droite jusqu’aux fesses dures et drues étroitement enserrées dans les lungis, sont attentifs et tendus dans l’écoute.

    Dans la hutte, la chaleur se fraye un passage entre les palmes entrecroisées.
    La pénombre se moque, elle n’a aucune fraîcheur et la terre battue, dure et bosselée exhale l’odeur des épices.
    Je suis restée ainsi assise dans votre silence. Quand vos paupières se sont fermées, que votre souffle s’est fait ample et régulier, j’ai pris ma mallette, je suis sortie.

    Les deux poules ont soulevé mollement leurs ailes inutiles à mon passage.

    J’ai pris le sentier rouge qui s’éloigne de la lagune vers les terres craquelées.





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